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les cendres d'A
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4 novembre 2007

Roman - 2. Première partie. Chapitre 1.

PREMIERE PARTIE : L’AUBERGE

 

 Chapitre 1 :La forêt ensorcelée

 

 C’est ici qu’il faut commencer ce récit. J’ai quinze ans, et j’accompagne depuis trois ans maintenant mon maître, le vieux mage Agrippa, qui m’entraîne avec lui dans toutes ses expéditions, afin de me faire goûter aux différentes formes de magie. Sa spécialité, ce sont les potions. Ce n’est pas ce qui est, je dois le reconnaître, ce qu’il y a de plus excitant dans la magie, mais c’est ainsi... Et nous pénétrons alors, en ce début d’été, après trois longues journées de cheval, dans une forêt que je ne connais pas, pour aller faire une grande cueillette de plantes, pour une de ces potions insipides et qui ne servent à rien, du genre une potion qui donne à celui qui la boit cinq minutes de chaleur dans une région froide... Agrippa est le spécialiste des potions inutiles, c’est du moins comme cela que je le vois à cette époque, bien que ses pouvoirs m’aient surpris plusieurs fois les années précédentes, et ne cesseront de me surprendre par la suite... L’inconvénient de ces potions, c’est, comme toutes les potions, d’ailleurs, que les plantes qui sont à l’origine de leur fabrication sont toujours dans les endroits les plus reculés, les plus sauvages, les plus dangereux... J’ai déjà subi des voyages exténuants, dans des moites marais, ou des montagnes féroces pleines de crevasses et de précipices... Mais là, c’est différent. La forêt dans laquelle nous entrons est de toute beauté...

         Lorsque Agrippa, dix jours avant, m’a arraché au meilleur des sommeils dans ma chambre douillette de ce qui nous sert de demeure, en plein coeur de cette belle, cette somptueuse, cette illustre cité d’Alican, en me disant qu’il fallait, de toute urgence, aller cueillir des fleurs dans une forêt qui se trouve à trois jours de cheval de mon doux lit, j’ai bien cru qu’il avait perdu la raison, quej’allais le planter là, avec ses lubies de vieillard sénile, mais en fait, bien sûr, j’ai ravalé mon indignation, et doux apprenti que je suis alors, humble devant celui qui sait tout, alors que je ne sais rien, j’ai préparé mes affaires et l’ai retrouvé dans la cour, déjà monté sur son cheval, et tenant le mien par les rennes.

 En chemin, alors que nous mettons nos chevaux au pas, et que nous profitons, après deux journées de chaleur dans les plaines exposées au soleil qui longent la forêt, de la suave fraîcheur des sous-bois, Agrippa me raconte l’histoire de cette forêt, qu’il décrit avec beaucoup d’excitation comme une des plus belles forêts qu’il ait jamais vues. Pourtant, elle a vécu de tristes années... Se greffant dans sa base aux montagnes de l’est, qui renferme dans son sein la sombre Cité des orques, Dracnidia, creusée dans la roche, elle s’épanouit à l’ouest vers les douces plaines d’Abylisse, qui mènent à notre bonne vieille cité d’Alican. Au temps de la guerre, la forêt servait de barrage naturel entre le territoire des orques et le nôtre. Les orques s’étaient aventurés parfois, malgré la réputation maudite qu’avait alors la forêt, envoyant des troupes dans l’espoir d’atteindre les plaines qui menaient à Alican. Mais la forêt les avait à chaque tentative englouties, absorbées, bref, les troupes disparaissaient les unes après les autres, sans que personne ne sache comment...Notre roi avait lui aussi envoyé des troupes, dans l’espoir d’atteindre lui aussi ses ennemis qui peuplaient Dracnidia, mais ces troupes royales n’étaient jamais revenues... Car la forêt ne servait qu’elle-même. Chaque faction se retrouvait donc impuissante face à cette forêt inviolable, et protégée de ce fait... Il fallait alors aux deux antagonistes faire pour s’affronter un immense détour, et se risquer d’attaquer à découvert, dans la nudité des plaines, car la forêt s’étendait jusqu’aux marais, qu’il était presque aussi dangereux de traverser... Furieux de se retrouver ainsi bloqués par une couronne de bête verdure, les orques décidèrent, sans ménagement, de brûler la forêt. Ils installèrent des milliers de brasiers à chacune de ses entrées, et s’aidant de magie noire, ils firent grossir les flammes jusqu’à ce que la forêt soit cernée. L’incendie fit de terribles ravages, la forêt s’embrasa presque entièrement, mais ce fut le dernier crime commis par les orques... Car peu de temps après vint la cohabitation, les deux factions ennemies firent enfin la paix, après des siècles et des siècles de carnages. Celle que j’ai toujours connue...

  Agrippa, poursuivant son récit, me raconte alors que notre malheureuse forêt assassinée n’en resta pas là... Au coeur de cette étendue de troncs calcinés, on découvrit un lac, dont personne n’avait connaissance auparavant. Et curieusement, autour du lac, l’incendie s’était arrêté... Trop rapidement, disent certains, la nature avait repris ses droits, la végétation avait comme ressuscité. Les arbres s’étaient mis à pousser d’abord autour du lac, puis de plus en plus loin. Et en l’espace d’une vingtaine d’années –c’est du moins ce qu’on a raconté à Agrippa - elle avait retrouvé toute sa vigueur. Mais quelque chose en elle avait changé. Agrippa me fait alors partde ses réflexions à ce sujet. Selon lui, à l’origine, on aurait ensorcelé notre belle forêt, pour il ne sait quelle obscure raison, de façon à ce que personne ne puisse y pénétrer, sous peine d’y laisser sa vie, mais que l’incendie et la magie noire utilisée par les orques avaient dû interférer dans cette malédiction, ce qui aurait causé l’annulation de ces deux maléfices. Le lac, débarrassé des mauvaises ondes qui le paralysaient, aurait alors pu libérer les ondes magiques et bienfaitrices qu’il possédait depuis toujours mais qui avaient été emprisonnées par l’ancienne malédiction, et avait aidé la forêt à renaître de ses cendres, déployant autour de lui une beauté enchanteresse... Cela faisait de notre forêt l’un des lieux les plus chargés de puissances magiques. Des cercles de chênes délimitaient des clairières, et l’air était comme électrique...

 Lorsqu’on arrive, comme nous l’avons fait, des plaines d’Abylisse, on suit pour la retrouver un chemin qui va en rétrécissant jusqu’au sommet d’une colline. Arrivé en haut de cette colline, on aperçoit en contrebas la forêt, qui s’étend comme un mur de feuillages dense jusqu’aux montagnes lointaines. Elle ondule sur un paysage vallonné, se perd par endroit pour réapparaître plus loin, longeant les longs coteaux qui terminent la belle région d’Abylisse. Lorsque l’on descend la colline, on la voit bientôt envelopper le paysage, et soudain il n’y a plus autour de nous que sa sombre verdure, qui nous attire à elle. Puis on y est... Les grands arbres se dressent, majestueusement, vers le ciel, stoïques comme des soldats qui gardent un temple grandiose. Puis à mesure qu’on avance, elle devient plus exubérante, avec par endroits de douces clairières qui créent au milieu des broussailles d’éclatants puits de lumière... le chemin, qui file dans ces touffes d’arbres fouillis comme une rivière, est resté intacte. Par moments, l’air est chargé d’une humidité étouffante, puis l’instant d’après, les ramures des arbres remontent bien haut, créant de leur dense feuillage un toit d’ombre rafraîchissant. Je n’ai que quinze ans, et la nature est pour moi la même un peu partout... un arbre est un arbre, un pré est un pré... Mais je suis en y pénétrant comme un enfant qui découvre un monde féérique... tout me paraît irréel, trop beau, trop parfait, et je ne sais expliquer ce qui me donne cette impression. Il y a une harmonie, un rythme magnifique qui transcende ces bois en une succession de tableaux tous plus beaux les uns que les autres. Je sens malgré moi une émotion grandir en moi, qui me submerge jusqu’aux larmes... bref, je suis dans l’extase la plus pure, moi, Arpège, pas mystique pour deux sous... Puis, je vois soudain, entre les arbres, une forte lumière tel un brasier qui consume les arbres devant nous. Je me dis que ce doit être une clairière, encore une, mais la lumière qu’elle dégage est trop forte... Agrippa, les yeux brillants, presse alors le pas de son cheval et quittant le chemin, il file en direction de ce phénomène... bien intrigué, je suis mon maître avec inquiétude, et enfin, je le vois, pour la première fois... Le lac s’offre à mes yeux éberlués...

 Il est là, devant moi, luisant sous le soleil tel un diamant, la forêt étant son écrin... Sa surface, lisse, amène à lui les rayons du soleil, et c’est comme si un soleil s’était reposé là, dans les bois paisibles. Je ne sais si c’est cette lumière, aveuglante, ou bien l’émotion d’un spectacle si beau, mais mes yeux s’emplissent de larmes, que je tente de dérober aux regards de mon maître. Mais Agrippa est ailleurs, lui aussi... Descendu de son cheval, il s’est agenouillé devant le lac en esquissant le plus radieux des sourires, si tant est qu’on puisse voir un sourire dans sa grosse barbe grise, et il énonce avec beaucoup d’enthousiasme :

 - Mon cher Arpège, je te présente le lac Cristal !

 Le fait qu’il utilise cette voix cérémonieuse, comme s’il me présentait une de ses relations importantes, un prince, ou un roi, ou un Grand-Mage, me fait sourire l’espace d’une demie seconde, puis je me range à son initiative, et descendant de cheval, je m’assois près de mon maître, face à la grandeur et la somptuosité de cette formidable apparition, essayant de calmer ma respiration qui me soulève le coeur...

 Je ne sais combien de temps dure notre contemplation. Quelques minutes, tout au plus, mais en me relevant peu après Agrippa, j’ai l’impression d’avoir grandi. Les contours de mon corps me semblent étrangers... Je tremble, alors qu’il fait une chaleur étouffante, et la tête me tourne. Ces symptômes, je les vivrai par la suite des centaines, peut-être des milliers de fois... Mais à l’époque, je ne sais pas encore ce qu’ils signifient...

 Nous retrouvons nos montures qui se sont tenues sur le chemin en nous attendant, broutant les quelques herbes qui passent à leur portée, mais Agrippa, tenant son cheval par les rennes continue le chemin à pied. Me disant que c’est peut-être une sorte de pèlerinage, je le suis de la même façon, essayant de calmer les battements précipités de mon coeur... Le chemin longe d’assez loin la courbe du lac, puis s’en rapproche sensiblement. J’aperçois alors, entre le lac et nous, une bâtisse, que je ne peux encore identifier à cause des arbres qui m’empêchent de la voir. Nous arrivons à l’embranchement d’un autre chemin, qui nous ramène vers le lac, et je peux enfin découvrir, au bout de ce chemin ce qui l’instant d’avant s’est dérobé à mes yeux.

 La bâtisse qui se trouve devant moi était assez curieuse, en plus du fait qu’elle était là, seule, isolée en plein coeur de la forêt. Elle ne ressemble à rien de ce que je connais. Je reconnais avec étonnement dans son architecture certaines caractéristiques d’un temple elfique, avec ses colonnes, son fronton imposant qui se devine sous une épaisse couche de lierre... Et pourtant, aux dires d’Agrippa à cet instant, il ne peut y avoir eu d’elfes dans cette partie du monde... c’est encore une des curiosités de la forêt, qui garde en elle les réponses à tous ces mystères... Entre les colonnes et les murs de grosses pierres blanches montées par des mains d’elfes, d’autres mains ont monté de solides poutres noueuses et des murs de torchis... Quelqu’un a apparemment eu l’audacieuse idée de construire une sorte de chaumière sur les bases d’un temple dont les ruines ont servi pour soutenir et renforcer la structure nouvelle. Et cela donne à l’ensemble un aspect plutôt bizarre. Les grandes pierres blanches se marient tant bien que mal aux poutres tordues et les colonnes soutenant le fronton créent un portique digne d’un temple, ce qui tranche avec les grosses tuiles qui recouvrent le toit légèrement tordu.

 Autour de ce curieux édifice, une ceinture d’arbres s’amincit et laisse place au lac, qui pétille sous le soleil et éclaire d’une lumière diffuse un des murs de la bâtisse de laquelle nous approchons. Sous le portique grandiose, j’aperçois un homme, qui attend là, et nous regarde venir vers lui. C’est Agrevin, et l’étrange bâtisse dans laquelle il nous invite à pénétrer est son auberge.

 Agrevin vit ici depuis maintenant de longues années, alors que la paix bien installée fait de la route forestière que nous avons prise le chemin le plus rapide pour atteindre Dracnidia, et de ce fait est empruntée par un certain nombre de personnes de tous genres et de toutes origines, des voyageurs, des mercenaires, des marchands... pas assez pour faire d’Agrevin un homme riche, mais suffisamment pour qu’il puisse rester vivre là, près du lac... Notre aubergiste n’est pas un homme d’affaire... il était tombé un jour nez à nez avec le lac, et comme une illumination, il avait commencé à construire son auberge, malgré les protestations musclées de sa femme et de ses filles. Il avait alors tout abandonné, son métier de charpentier, sa ville, ses amis et avait traîné toute sa famille dans son « petit coin de paradis ». Puis, ses filles étaient parties se marier, et sa femme, malade de solitude, se rendant compte qu’il ne répondrait jamais à ses supplications, était partie rejoindre ses filles. Mais il était resté, solide comme le roc, disant à qui voulait l’entendre qu’il était ici à sa place, et que personne n’y changerait rien. A bien y réfléchir, Agrevin était en quelques sortes le gardien du lac...

 Agrippa connaît cet endroit et cet homme depuis vingt ans, depuis qu’il avait découvert, au hasard de ses voyages, le lac et ses multiples vertus, notamment la sublime diversité des herbes rares, des fleurs, qui poussent tout autour de lui, ou les substances précieuses que renferme son eau.

 Devant cet homme affable, nous entrons dans l’auberge, et je découvre avec un certain amusement la grande salle commune, vide, dont les petites fenêtres laissent pourtant entrer en plein la lumière du soleil qui se reflète sur le lac. Les tables sont disséminées dans toute la pièce, sans grande coquetterie. La seule beauté du lieu réside, mis à part évidemment le lac qui paraît se pencher aux fenêtres, dans une immense cheminée, légèrement surélevée, que le propriétaire des lieux a eu la bonne idée d’ériger au milieu de la pièce, créant un centre chaleureux, même si à cette heure, aucune flamme ne l’éclaire, au milieu de ces tables où sont placés pauvrement un pichet, une salière et un petit vase ébréchés où ont été négligemment déposés quelques petites fleurs à moitié fanées.

 Nous menant aux chambres, Agrevin nous demande ce que nous souhaitons manger, et mon regard s’illumine... Je vais enfin manger correctement, et la chambre dans laquelle je pénètre, même dénuée de la moindre touche décorative, me paraît la plus charmante des chambres. Laissant Agrippa rejoindre la sienne, je m’installe confortablement sur le lit qui me tend les bras, puis, me délectant de ces lieux, je vais voir à la petite lucarne qui me sert de fenêtre. Au milieu des feuillages des arbres qui se dressent devant moi, le lac scintille dans une dernière lueur, abandonné peu à peu par le soleil qui poursuit sa course vers d’autres merveilles... Tout devrait nous sourire dans un cadre aussi enchanteur...

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