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les cendres d'A
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20 septembre 2008

Madame va voir Ry

    Au milieu des plaines normandes, entre le pays de Bray et la Vallée de l’Andelle, non loin des forêts qui entourent Lyons, dans cette Normandie profonde où tout est resté comme au temps jadis, au temps des paysanneries, des petites bourgeoisies de province, bref où tout est resté comme Flaubert le décrit, dans le paysage, surtout, quand on se retrouve sur les petites routes, avec comme seules bâtisses au loin de grosses fermes archaïques, quand il parle des plaines ronflantes, c’est exactement cela, la nature ronfle et respire, tout ce vert moquette qui déborde sur les petites routes où l’on s’attend à croiser un bock, bref dans cette nature riche et fraîche, quand on quitte les sentiers touristiques, ce tourisme de week-end taillé pour les parisiens qui viennent dans leurs résidences secondaires, et sont à l’affût du moindre bout de truc authentique se trouve le petit village de Ry, petite bourgade assez mignonne et peu connue, sauf des spécialistes, ou des chercheurs de choses à faire le week-end, dont la seule prétention est d’avoir servi à Flaubert pour y installer la famille Bovary, d’après ce que clament avec fierté les devantures des magasins, des cafés...
    C’est dans cette petite ville que débarque après l’école, les yeux pleins d’admiration, une jeune femme, dans son gros pajero, flanquée de ses deux gosses. Elle n’a pas lu le roman de Flaubert, ou alors elle l’a lu il y a longtemps mais elle a vu le film de Chabrol. Elle se gare, sort la poussette canne de sa petite dernière, et aide son aînée à défaire sa ceinture. L’aînée, docile, tient la poussette de sa petite soeur pendant que sa mère, le nez en l’air, découvre avec ravissement les jolies halles couvertes qui abritent quelques boutiques, un coiffeur, un fleuriste, un marchand de chaussures ringardes. Elle court à la pharmacie, mais plus rien n’est conservé, pas même l’emplacement de la boutique de monsieur Homais. Toute excitée, elle essaie de graver dans sa mémoire la maison qui aurait servi de résidence à Madame Bovary, un instant elle s’imagine la voir sortir de sous un porche, avec sa longue robe enjuponnée et sa tête d’Isabelle Huppert. Avide d’en savoir plus, elle pousse fébrilement la porte du petit syndicat d’initiative, vide, où deux femmes tournent la tête en souriant à son entrée brouillante, tenir la porte, faire rentrer sa grande fille qui lui bloque nonchalamment le passage, et essayer d’insérer la poussette dans l’ouverture où on a eu la bonne idée d’installer une marche, pendant qu’on la dévisage avec bienveillance, oui, explique-t-elle toute timide pour attirer l’attention des deux jeunes filles interdites qui se contentent d’observer en souriant, je me suis installée dans la région il n’y a pas longtemps et j’ai découvert que ce village avait servi pour le roman de Flaubert, alors je suis venue faire un tour, ça y est la poussette est passée, elle prend toutes les brochures qu’on lui tend comme si c’étaient des reliques, promenade sur l’Hirondelle transformée en péniche, musée d’automates, fermé en pleine semaine, surtout en cette saison... qu’ajouter de plus ? elle repart, un peu déçue, qu’avait-elle imaginé ? bien sûr, ce n’est pas Paris, ici, et puis les gens ne s’intéressent pas aux grands romans... Mais elle reviendra, dit-elle en tentant cette fois de sortir la poussette, elle reviendra au festival qui aura lieu bientôt, elle se fera un plaisir d’admirer le village illuminé par la fête, comme le jour des comices agricoles...
    Elle va fureter cependant, ne pouvant s’empêcher de sourire aux noms des magasins, une droguerie qui s’appelle Au bonheur d’Emma, une pharmacie qui s’appelle la maison Homais, étonnée de voir toutes ces vitrines, plus nombreuses que dans son petit village, pourtant un des plus beaux villages de la région, où il ne reste que des restaurants et des antiquaires, mais Ry est déjà trop loin de la maison pour y faire son quartier général. Elle demande à la petite maison de la presse s’ils ont le célèbre roman, qu’ils n’ont pas même en stock, dirige ses deux filles qui commencent à s’exciter jusqu’à l’église fermée puis, après s’être arrêtée faire quelques courses au petit épicier qui vend même du thé en vrac et à la boucherie qui a l’air un peu plus reluisante que celle de son petit village, histoire de faire durer un peu l’excursion, elle se dit qu’elle a fait le tour, et finit par traîner sa fille aînée et sa petite qui rit comme une folle aux idioties de sa soeur vers le parking où l’attend sa grosse voiture. Tout en attachant les deux enfants, elle songe avec tristesse qu’elle aurait aimé habiter ce charmant village, plutôt que l’autre où elle se traîne depuis quelques mois, que peut-être dans ce village elle se serait moins languie de Paris, que peut-être elle aurait rencontré des gens chaleureux et amicaux. Les paysages verts défilent devant ses yeux vagues. Elle pense distraitement qu’elle va être en retard dans son planning du soir, donner les bains, faire à manger, lire une histoire et ainsi de suite... mais après tout, c’est le week-end, demain, elle n’aura pas à se lever pour emmener sa fille à l’école. Elle se demande à quelle heure va rentrer son mari... tard, sans doute, comme tous les vendredis...
    Le soleil timidement sort des nuages, le printemps arrive enfin, songe-t-elle en entrouvrant sa vitre, tout en jetant un oeil pour voir si les petites n’ont pas trop d’air, elle respire l’air frais qui passe, tout de même, cet air, et ce soleil qui vient parfois vous éclater au visage, ça vaut le coup, puis elle remonte la vitre, non, décidément, il ne fait pas encore assez chaud. Elle referme le bouton de son gilet, met le clignotant... la voici arrivée chez elle. Elle aura au moins tué deux heures...

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