extrait du roman à venir : tentations
Charlotte, le lendemain, après avoir fait quelques
achats qu’elle avait laissés traîner depuis la rentrée, une flûte en bois, des
feutres pinceaux, une collection complète de slips de tout âge, regardant sur
son portable l’heure qui lui rappelle douloureusement que tapie au fond d’elle
s’agrandit sa faim, ténue comme une mauvaise compagne bruyante et exigeante qui
aurait frappé à la porte du ventre de grands coups creux au point qu’elle se
sente devenir une masse difforme logeant dans ses entrailles un monstre, va
d’un pas pressé pour échapper aux vitrines qui offrent à ses yeux gourmands des
étalages de menus que d’autres qu’elle, attablés, peuvent goûter avec un verre
de vin, avant d’hésiter, et elle n’hésitait jamais dans ces cas-là, à prendre
un dessert, à se remplir de plus belle le ventre déjà bien rempli, menus ou
tableaux noirs déroulant les plats du jour alléchants dont elle voyait la mine
dans les assiettes, mais cette fois elle ne cèderait pas, elle résisterait à
l’envie de prendre son téléphone et de proposer à Florence de descendre la
rejoindre, juste en bas, elles auraient pu aller par exemple goûter les
paupiettes de veau du petit troquet au bout de la rue où elles perdaient des
après-midi entières à discuter et à rire en regardant passer les gens pressés,
où ils avaient d’ailleurs un très honorable fondant au chocolat dans la carte
des desserts, mais non, elle passe de son petit pas pressé non sans suivre du
regard les tables pleines et celles qui restaient encore libres ; la
boulangerie ensuite lui offre un panel de pâtisseries qu’elle a toutes au moins
une fois goûtées, sauf les financiers, les quatre-quarts au citron, la tarte
meringuée et le baba, qu’elle estime mieux réussir, même si le reste ne lui
laisse, au final, qu’un agréable goût sucré mais rien de transcendant, rien qui
vaille la peine de s’arrêter cette fois, alors que son quota de sucré se réduit
presque au néant, en en plus il y a la queue, les gens vont là chercher un
mauvais sandwich à la fois trop sec et trop gras, une petite tarte trop salée
qui ne fait pas, cette fois, envie à Charlotte, c’est au moins le signe que son
appétit ou sa gourmandise s’étiole, se calme et qu’elle parvient
finalement à dompter cette vilaine bête ; mais ensuite, après la
boulangerie, le petit libanais diffuse jusqu’à ses narines éprouvées une grosse
odeur d’épices et d’ail, d’herbes et d’amande, tout cela mélangé formant une
suave couleur brune qui ressemble à celle du houmous et qui la hante encore
quelques mètres alors qu’elle l’a dépassé, et puis, ultime tentation qui lui
arracherait presque des larmes, ce restaurant thaï qui vient d’ouvrir en bas de
chez elle, juste en bas, avec ce décor épuré, ces petites tables noires en
wengé sur lesquelles ils ont monté des petites lampes blanches, sur le menu
elle lit avec envie pour la dixième fois le menu, des concombres tofu cacahuète
sarriette, le foie gras poché dans un bouillon chinois, et l’alléchant biscuit
citron et huile d’olive, servi avec une glace au lait. Elle s’en sort encore
cette fois-ci, et pense avec un dépit mêlé d’espoir à la soupe maison qui
l’attend, aux trois choux, courgettes et fenouil, avec une petite touche de
persil et de coriandre, adouci par du lait écrémé.