Roman - 1. prologue
PROLOGUE
Mon nom est Arpège. Je suis un vieux
mage grisonnant, le genre de mage que l’on imagine aisément, pas costaud pour
deux sous, emmitouflé, été comme hiver, d’une grosse robe sombre, qui parcourt
le monde avec un bâton presque aussi vieux que moi... et je ne sais même pas
l’âge que j’ai... je suis un mage, en accord parfait avec la magie qui anime la
moindre parcelle de mon être, à tel point que je n’ai plus de baguette depuis
bien longtemps... Et si je prends ma plume aujourd’hui, comme un poète que je
ne suis pas, c’est que je suis le seul, je pense, maintenant, à pouvoir
raconter cette histoire...Cette histoire est une histoire terrible, et vous
devrez avoir beaucoup de sang-froid pour en supporter tous les épisodes, aussi
effroyables soient-ils... Je ne sais, au juste, pourquoi j’ai attendu si
longtemps avant de l’écrire... sans doute la peur de revivre tout ceci a-t-elle
freiné mon projet. Car j’ai toujours su qu’un jour, il faudrait que je m’y
mette. C’était en moi comme une évidence, et pourtant j’ai lutté, lutté,
lutté... J’ai lutté si longtemps... j’avais toujours plein d’autres choses à
faire... cueillir des plantes pour mes potions... Relire le passage d’un
enchantement... Mais cela hurlait en moi, cela hurle toujours... j’entends cette
voix, si familière, maintenant, cette voix comme une seconde voix qui me parle
constamment, et qui me dit, Arpège, Arpège, ton destin n’est pas terminé, tu as
accompli beaucoup de choses, c’est vrai, mais il te reste encore cette dernière
chose à accomplir, que toi seul peux accomplir... au crépuscule de mes jours,
alors que ma barbe blanche tremble contre mes genoux, et que ma vie, fatiguée,
insipide, s’est déroulée comme une douce rivière apaisée après la tempête...
Réussirai-je à rendre compte de toute cette aventure, sans que cela ne soit
tronqué par ma mémoire si pleine des jours qui se sont empilés au-dessus des
plus anciens, des plus précieux, les recouvrant d’une poussière qui comme un
masque me protège de mon passé? C’est si loin, maintenant... Si loin... Mais je
suis ce que je suis, et je peux constater encore aujourd’hui que mon
merveilleux don ne m’a pas abandonné... Il retrace devant mes yeux les jours
anciens, si anciens, et tout me revient avec une limpidité enivrante... Je
prends ma plume, et les phrases viennent en moi comme une douce mélodie, les
mots se culbutent un peu dans mon esprit mais l’essence, elle, est bien là,
elle s’évapore dans l’air comme un parfum familier... elle m’entoure, me
caresse, me berce... Je ferme les yeux, le silence de ma petite chambre pèse
sur moi comme une chaude couverture... Et tout me revient par magie... Je me
souviens de tout...